09 / Mar

Réforme du droit des contrats ou la Révolution qui n’en était pas (vraiment) une

Après de longues années d’errements, une mise à jour du Code Civil a finalement été entérinée par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, publiée le lendemain au Journal Officiel et faisant suite à la loi d’habilitation n°2015-177 autorisant le gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance.

Le droit des contrats, et plus particulièrement le Titre III du Code civil, est un bon vin qui n’a pas résisté aux épreuves du temps et à l’évolution de la société. S’y aventurer était la certitude d’une aventure désagréable dans l’inconnu et le doute. En ignorant de vastes pans de la vie des contrats, tout particulièrement celle de la période précontractuelle, il a forcé le juge à jouer un rôle qu’il apprécie guère et qui, quoi qu’il en soit, ne lui était pas naturellement destiné, à savoir celui de législateur de facto. De ce fait, une grande partie du droit positif n’est que le produit d’interprétations jurisprudentielles ou doctrinales, à savoir le plus petit dénominateur commun en termes de sécurité juridique.

C’est donc sous l’étendard d’un sécurité juridique accrue ainsi que celui d’une plus grande lisibilité que s’est placée cette réforme qui, sans révolutionner le droit des contrats, entérine certaines solutions. Cette nouvelle intelligibilité et accessibilité fera t’elle rayonner notre Code dans le monde des affaires ? L’attractivité du droit français sera-t-elle enfin un fait ? Il est bien évidemment impossible de répondre avec certitude si ce n’est que nous faisons, pour l’instant, un petit pas dans la bonne direction.

L’ordonnance comporte ainsi 322 articles « rénovés » et porte un sérieux coup à l’ancienne structure du Code civil et faisant fi de l’ancienne numérotation (de 1101 à 1386). Son nouvel agencement fait preuve d’une grande pédagogie afin de le rendre accessible au plus profane de ses lecteurs. Il sera structuré ainsi :

Titre III « Des Sources des Obligations »

Sous-titre I « Le contrat »

Sous-titre II « La responsabilité extra contractuelle »

Sous-titre III « Les autres sources d’obligations »

Quels sont donc ces articles réformés et que concernent-ils ? Dans un premier temps, le droit des contrats est l’œuvre de la plus importante rénovation, l’essentiel des articles de l’ordonnance lui étant consacrés. Les quasi-contrats, le régime général des obligations et le droit de la preuve sont eux aussi concernés dans une moindre mesure.

Le droit des contrats

Sous titre I « Le contrat »

Chapitre 1 – Dispositions préliminaires

Chapitre 2 – Formation du contrat

Chapitre 3 – L’interprétation du contrat

Chapitre 4 – Les effets du contrat

C’est pour l’essentiel cette facette du droit des contrats qui a fait l’objet du remaniement le plus conséquent, notamment dans le but de mettre un terme aux incertitudes issues d’interprétations jurisprudentielles et doctrinales qui étaient loin de faire foi d’évangile. Toute en oeuvrant dans le sens de la simplification et de l’accessibilité, une part d’innovation législative subsiste.

Un soupçon d’innovation

Chacun sera en mesure de constater les apparitions suivantes au profit de la partie faible : Action en responsabilité extracontractuelle en cas de manquement au devoir d’information (Art. 1129) ; La faculté du juge de supprimer les clauses abusives en cas de déséquilibre significatif entre les parties (Art. 1169) ; l’interdiction des clauses privant de substance la portée de l’obligation essentielle du débiteur (Art. 1168) ; En cas d’ambigüité , les clauses d’un contrat d’adhésion s’interprètent à l’encontre de la partie qui les a proposées (Art. 1193) etc.

Une consécration législative de la vie précontractuelle

Sans établir un catalogue exhaustif des éléments relatifs à la période extracontractuelle, l’ordonnance affirme sans contrefaçon le principe du consensualisme et traite in extenso de tous les litiges qui s’y rapportent (pourparlers, offre et acceptation, pacte de préférence, enrichissement sans cause). Dans l’absolu, l’ordonnance codifie les arrêts ayant fait jurisprudence et ayant valeur de droit positif (notamment l’arrêt « Manoukian » Com. 26 novembre 2003).

À cet égard, il convient de souligner un changement important, qui n’en n’est pas véritablement un : la révocation d’une offre par le promettant avant l’expiration du délai octroyé au bénéficiaire pour lever l’option n’empêche plus la formation du contrat. Cette nouvelle vision du consensualisme contraste avec l’ancienne jurisprudence (Civ. 3ème, 15 décembre 1993, « Consorts Cruz ») qui considérait la révocation d’une offre comme anéantissant le rencontre des volontés. Quoiqu’il en soit, cette jurisprudence n’était qu’illusoire car, dans la pratique, les clauses d’exécution forcée étaient admises depuis plus de 20 ans.

Le renforcement de l’intervention du juge dans la vie du contrat

S’il était autrefois de principe que de penser que le contrat était en termes absolus la « chose » des parties, les nouveaux articles 1163 et 1196 de l’ordonnance mettent à mal cet édifice doctrinal. Il est dorénavant reconnu au juge la faculté d’intervenir directement sur le prix, d’allouer des dommages et intérêts et même d’ordonner la résolution des contrats cadres.

De même, dites au revoir au célébrissime arrêt « Canal de Craponne » de 1876 : l’imprévision passe du stade de la théorie à celui la pratique et, ce faisant, permet au juge d’adapter ou de mettre fin à un contrat si des renégociations ont échoué entre les parties.

Un consensualisme encadré

Le nouvel article 1102 pose le principe de la liberté contractuelle en termes si sonnants et trébuchants que même la prose de Monsieur Jourdain en viendrait à rougir de jalousie :

« Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi » (Alinéa 1er). À défaut d’être musicale, cette formulation aura au moins le mérite d’être d’une clarté limpide…

L’alinéa 2nd vient quant à lui encadrer ce consensualisme avec une référence immanquable aux droits et libertés fondamentales qui sont expressément distinguées de l’ordre public, formant ainsi une catégorie autonome. Si aucune atteinte contractuelle à l’ordre public ne semble possible, celle aux libertés fondamentales est possible sous la condition d’un contrôle de proportionnalité « façon droit administratif ».

Causette cause toujours

Les notions de cause et objet, objet et … cause … de nombreuses dépressions chroniques chez l’étudiant en droit, disparaissent. Elles sont cependant regroupées en une notion unique et toute aussi empreinte d’une ambiguïté artistique que seul un législateur français est capable de créer, celle du « contenu du contrat », promettant, pour le bonheur de tous, un océan de potentialités.

« Avant, on savait écrire le droit !» s’exclamaient les professeurs de droit. S’il faut évidemment concéder un certain lyrisme au Code Napoléonien, ses formulations généralistes et incertaines ont sillonné le parcours judiciaire en n’y laissant que doutes et incertitudes d’interprétation. C’est donc à bon droit que la réforme a tendu à moderniser un pan fondamental des relations juridiques.

Les dispositions transitoires de l’ordonnance donnent application au texte à compter du 1er octobre 2016, exception faite aux articles 1123 (le pacte de préférence), 1158 (la représentation) et 1183 (la nullité et la confirmation) qui sont d’application immédiate.

Par Alain Godement