13 / Juil

Trouble sur la titularité des droits d’auteur de l’œuvre d’Hergé

Le 29 mai 2015, un exemplaire spécial du tout premier album de Tintin, paru il y a 85 ans « Tintin au pays des Soviets », a été adjugé 30.000 euros lors d’une vente aux enchères de la maison Catawiki.

Lors de cette vente en ligne dédiée à l’œuvre de Hergé, un autre exemplaire de luxe de l’album « Tintin au Tibet » (1960) a été adjugé 13.000 euros, tandis qu’un exemplaire très rare du « Sceptre d’Ottokar » (1947) a été vendu pour la somme de 7.500 euros. Au total, la vente a rapporté quelque 150.000 euros.

Des chiffres qui donnent le vertige et qui ne font que rappeler l’intérêt toujours croissant des fans de cette œuvre. Un intérêt partagé avec les héritiers de l’auteur qui sont bien connus des tintinophiles habitués aux nombreux procès intentés et gagnés même contre les fans du reporter belge.

Mais aujourd’hui, la société Moulinsart SA, société chargée de l’exploitation commerciale de l’œuvre d’Hergé (produits dérivés, multimédia, applications…), vient de perdre son premier procès, aux Pays-Bas, sur l’utilisation d’extraits d’albums de « Tintin ». Une décision qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour les héritiers.

En l’espèce, en 2012, Moulinsart SA avait attaqué en justice une petite association néerlandaise de fans de Tintin nommée la Société Hergé, fondée en 1999. Regroupant près de 650 membres, cette association édite, trois fois par an, un magazine de 32 à 40 pages intitulé « Duizend Bommen », destiné à ses membres. Les articles sur l’œuvre et la vie d’Hergé y sont illustrés de vignettes tirées des célèbres albums sans que les héritiers ne reçoivent aucune redevance liée à l’exploitation de l’œuvre.

La société s’opposait donc à cette reproduction des vignettes sans versement de droit d’auteur car elle considérait que cette exploitation était contraire au droit d’auteur. D’ailleurs, rappellerait-elle, toutes les associations de fan de Tintin versent des droits d’auteur.

Mais rebondissement inattendu au Pays-Bas, contre toute attente, les défenseurs vont réussir à gagner le procès grâce à un document contractuel de 1942 dans lequel le dessinateur de Tintin cède le droit exclusif de publication des albums des aventures de Tintin à l’éditeur Casterman et non à la société Moulinsart SA.

Ainsi fin mai 2015, les juges de la Cour d’appel de La Haye ont indiqué qu’au vu du document en question : « Moulinsart n’est pas celui qui peut décider de qui peut publier des images tirées des albums et ne dispose donc pas des droits d’auteurs pertinents dans cette affaire. »

Moulinsart SA, qui n’a plus la qualité pour agir, ne peut légitiment attaquer cette association pour la reproduction des œuvres de Hergé. Pour cause, seul le titulaire du droit d’auteur peut se prévaloir d’une atteinte à ce droit.

Un jugement qui pourrait coûter très cher à Moulinsart SA, s’il faisait jurisprudence. Pour Stijn Verbeek, le secrétaire de la Société Hergé, se confiant à l’Agence France Presse, « La grande question, c’est de savoir s’ils (d’autres sociétés de fans) doivent continuer à payer Moulinsart ».

Dans Le Figaro, Emmanuel Pierrat, avocat parisien spécialiste du droit de l’édition, explique qu’il faut « mettre au clair la situation avec Casterman » car c’est désormais à eux que revient le choix d’interdire ou non la publication de vignettes. Il déclare à ce sujet :

« Casterman mène une politique plus cool vis-à-vis des Tintinophiles que Moulinsart et est plus à même de comprendre que le marché des albums de Tintin et la longévité de l’œuvre passent aussi par l’amour que l’on voue aux bandes dessinées. »

La société Moulinsart SA a décidé de contester la décision auprès de la Cour suprême des Pays Bas. Pour cause, les Editions Casterman tout comme la société Moulinsart SA sont surprises d’une telle décision car les deux groupes estiment que quand bien même Casterman possèderait les droits d’édition en toutes langues et pour le monde entier de l’œuvre, « tous les autres droits sont restés propriété d’Hergé, y compris les vignettes et autres dessins des albums exploités séparément ». Pour eux «la cour semble avoir fait une totale confusion entre les droits sur Tintin détenus respectivement par Moulinsart SA et les Éditions Casterman ».

Par Jessica Sababady