15 / Mai

Have a break, have a trademark

S’il est manifestement plus aisé de concevoir la protection de la forme d’un produit par le biais du droit des dessins et modèles, ce procédé n’est pas nécessairement adapté au secteur industriel des barres chocolatées, dont l’aspect est le plus souvent dicté par des contraintes techniques ou fonctionnelles.

Plus spécifiquement, la question de l’enregistrement et de la protection effective de la forme des fameuses quatre barres parallèles de la marque « KIT KAT », apparaissant être somme toute purement fonctionnelles, ne laissent que peu de doute quant à l’absence manifeste de caractère propre, élément essentiel à toute protection par le droit des dessins et modèles.

C’est donc pour cette raison que, le 8 juillet 2010, la société NESTLÉ s’est tournée vers le droit des marques pour enregistrer la forme du KIT KAT en tant que marque pour les produits et services désignés dans la demande d’enregistrement. Elle disposait en effet de suffisamment d’éléments pour démontrer qu’une large partie du public pertinent reconnaissait immédiatement la forme du produit et l’associait à sa société, permettant de procéder à son enregistrement par une application de l’acquisition de la distinctivité par l’usage.

La société CADBURY, concurrente directe de NESTLÉ au Royaume-Uni, peu convaincue par la validité de la marque formée de quatre barres parallèles fait opposition à l’enregistrement de cette dernière le 28 janvier 2011.

Face au caractère quelque peu inédit de la problématique pour le juge anglais de la High Court of Justice of England and Wales, ce dernier fait fit de son dédain traditionnel des institutions européennes et pose une série de questions préjudicielles à la CJUE.

Outre celles relatives aux motifs d’exclusion d’ordre technique, il est demandé si la forme d’un produit, connu par une grande partie du public et sur lequel ce dernier s’appuierait, à l’exclusion de tout autre signe, puisse constituer valablement une marque qui aurait acquis sa distinctivité par l’usage.

Plus exactement, il demande en anglais si les milieux intéressés[1] « rely upon the mark (as opposed to any other trade mark which may also be present) as indicating the origin of the goods ». (Traduction littérale : Le public pertinent s’appuie t’il sur la marque, par opposition à toute autre marque qui pourrait être présente, comme indiquant la provenance des produits ?).

La question semble curieuse en ce que la jurisprudence de la CJUE est pourtant claire sur ce point de droit : Il suffit qu’un signe, fusse t’il seul ou utilisé en combinaison avec une autre marque, soit perçu comme l’indication d’origine commerciale pour qu’il puisse constituer une marque valable. (Arrêt « Nestlé », C‑353/03, EU:C:2005:432)

Rappelant l’article 2 de la directive 2008/95 qui offre la protection du droit des marques à la forme d’un produit à la condition qu’il soit susceptible de représentation graphique[2] et propre à distinguer les produits d’autres entreprises, le juge Européen répond à son homologue Britannique : Pour qu’une marque ayant acquis sa distinctivité par l’usage soit effectivement enregistrée, « que ce soit en tant que partie d’une autre marque enregistrée ou en combinaison avec celle-ci, le demandeur à l’enregistrement doit apporter la preuve que les milieux intéressés perçoivent le produit ou le service désigné par cette seule marque, par opposition à toute autre marque pouvant également être présente, comme provenant d’une entreprise déterminée ».

Il évacue ainsi l’ajout inopportun d’une condition supplémentaire par le juge anglais : « To rely upon ». En effet, il n’est pas nécessaire que le public « s’appuie » sur la marque, mais uniquement qu’il la perçoive le produit désigné par cette seule marque (…) comme provenant d’une entreprise déterminée.

La réaction du juge anglais à la réponse de la CJUE n’appelle aucun doute quant à son appréciation: « In those circumstances, it is tempting to refer the question again. But I see no realistic prospect of a further reference yielding a materially different result / Dans ces circonstances, il est tentant de soulever la question à nouveau. Cependant, il n’y a aucune chance réaliste à ce qu’une nouvelle question puisse générer un résultat matériellement différent.»

Feignant une erreur d’appréciation dans la subtilité de la langue anglaise commise par le juge Européen, accusé à demi mot de francophilie chauvine, le juge Anglais persiste et signe dans l’ajout de la condition pourtant inexistante.

Par Alain Godement

[1] Les consommateurs moyens de la catégorie de produits ou de services en cause, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés

[2] Pour rappel, l’exigence de représentation graphique a été supprimée par la Directive 2015/2436 et le Règlement (UE) 2015/2424 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015