02 / Juin

Tentative de dépôt de marque « Les sans dent », un exemple d’une marque contraire à l’ordre public

Mais, que signifie exactement la notion d’ordre public en droit des marques ? Une brève illustration de quelques affaires originales pourrait nous éclairer.

L’article 711-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que « ne peut être adopté comme marque ou éléments de marque un signe : (…) b) contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, ou dont l’utilisation est légalement interdite (…) ».

Le 8 septembre 2014, Madame C a déposé une demande d’enregistrement de la marque verbale « LES SANS DENTS » pour désigner les produits des classes 16 (« produits de l’imprimerie ; … »), 28 (« jeux, jouets ; … »), 38 (« télécommunication ; … ») et 41 («éducation ;… »).

A sa grande surprise, l’INPI (Institut National de Propriété Industrielle) refusa cet enregistrement aux motifs que « le signe déposé apparaît contraire à l’ordre public en ce qu’il fait référence à des propos polémiques prêtés à Monsieur François Hollande, président de la République française ». Celle-ci interjette alors appel devant la Cour d’appel de Paris en soutenant, non sans audace, que l’expression « les sans dents » visée par sa marque peut revêtir plusieurs significations et désigner ainsi les nourrissons, ou des personnes dépourvues d’agressivité ou encore des personnes ne souriant jamais. Celle-ci ajoute que quand bien même sa marque serait en référence aux propos tenus par Valérie Trierweiler dans son livre Merci pour ce moment, elle a le droit de déposer ce signe au nom de la liberté d’expression et du droit à la satire reconnu par le Cour Européenne des Droits de l’Homme.

Cette argumentation ne sera pas retenue par la Cour.

Les juges vont souligner le fait que le droit d’utiliser librement un terme en se prévalant de la liberté d’expression ne doit pas être confondu avec le fait de s’approprier un signe de façon privative par le dépôt d’une marque.

En outre, relevant que la marque a été déposée 4 jours après la parution dudit livre, la Cour d’appel considère que « le signe demandé à l’enregistrement ne pouvait être perçu autrement que comme une référence au propos dégradant prêté au chef de l’Etat ». Ainsi, la Cour juge que « le signe « LES SANS DENTS » dont Madame C poursuit l’enregistrement à titre de marque sera perçu, non point, selon sa fonction essentielle, comme un indicateur de l’origine des produits et services qu’elle désigne mais comme une incitation à contrevenir à des principes essentiels au bon fonctionnement de la société ou comme une offense pour une partie du public concerné ».

Cet arrêt illustre alors ce que recouvre la notion d’ordre public. Dans le même ordre d’idée, c’est aussi sur ce fondement que les termes « Je suis Charlie » furent refusés à titre de marque, aux motifs selon lesquels « ce slogan ne peut être capté par un acteur économique du fait de sa large utilisation par la communauté » et de sa référence à un événement douloureux.

Cependant, nous pourrions nous demander quelles sont précisément les limites de cette protection d’ordre public ? En effet, il apparaitrait qu’un autre slogan populaire passa entre les mailles du filet de l’INPI, à savoir le fameux et raffiné « casse toi pauvre con » proféré par notre ancien Président de la République française, Nicolas Sarkozy lors du salon de l’agriculture du 23 février 2008. Ainsi, pas moins de trois marques existent actuellement sous ce nom ! Pourtant M. Sarkozy exerçait bien la fonction de Président de la République à cette époque, et nous soulignerons qu’une des trois marques déposées date du 27 février 2008, soit 4 jours seulement après les faits !

Tout ceci est donc de nature à nous interroger sur la portée exacte et les limites de cette notion d’ordre public protégée par le code de la propriété intellectuelle…

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e chambre, 26 février 2016 PIBD 2016.

Par Eve Commercon, stagiaire